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Cabaret de l’Exil – Femmes Persanes

Scénographie, conception et mise en scène, Bartabas – assistante à la mise en scène Emmanuelle Santini – Théâtre équestre Zingaro, au Fort d’Aubervilliers, jusqu’au 31 mars 2024.

© Alfons Alt

Ce troisième volet du Cabaret de l’Exil – après le Cabaret yiddish et sa musique klezmer, et après le Cabaret Irish Travellers et ses ballades – met à l’honneur les Femmes Persanes. Avec leurs instruments de musique – Firoozeh Raeesdanaee au kamantcheh et au chant, Shadi Fathi à la setâr, au shourangiz et au daf, Farnaz Modarresifar au santûr, Niloufar Mohseni au tombak – elles sont en majesté et transfigurent la représentation. « Oui, il fut un temps, où chantaient les poétesses le visage toujours découvert, un temps où l’on louait le talent des maîtres de musique au féminin » rappelle Bartabas, l’inventeur du concept.

On entre de plain-pied dans l’univers poétique de son Théâtre équestre Zingaro, qu’il fonde en 1984, toujours en mouvement et recommencement, jamais à court d’idées ni de pensées : « Avec la tribu Zingaro, il me plaît de bâtir des spectacles de contrebande où la pensée se glisse comme par effraction et sème le trouble dans la conscience émerveillée du spectateur » écrit-il. Le centre de la piste luit, c’est une piste d’eau au fond rougi, comme une piste de sang dans laquelle les musiciennes se reflètent, ponctuant les séquences de leurs mélodies et de leurs chants, populaires et savants. En vis-à-vis côté jardin, une musicienne-amazone (Catherine Pavet), se tenant comme à un gouvernail-rose des vents ou ajustant son sextant, leur répond de loin en loin.

© Hugo Marty

Au-dessus de la piste apparaît un funambule portant le masque d’un âne, qui entreprend sa périlleuse traversée à l’aveugle, sur le câble tiré (Stéphane Drouard, fildefériste) ; l’écuyère-comédienne introduisant la séquence s’assied sur une chaise d’écolier au centre de la piste, les pieds dans l’eau, entourée de cinq ânes qui la regardent. « Jamais je n’ai espéré devenir une étoile dans le mirage du ciel » leur confie-t-elle, l’œil au firmament. Un cheval brun arrive au centre et s’immobilise. Debout, en équilibre sur son dos, l’écuyère prononce une phrase-poème, rituel qui reviendra inlassablement au fil du spectacle. « Oui, il fut un temps où, sans être hantée par l’au-delà, la femme s’avançait debout sur sa monture pour éprouver la beauté du monde et clamer les joies de la passion amoureuse. » Puis le cheval se met à galoper le long de la piste sur l’étroite bande de terre restée sèche, l’écuyère, frêle guerrière, porte une épée. Les barrières s’ouvrent, ils disparaissent. En fondu enchaîné sur un minuscule cercle au plancher de bois tourne avec élégance une femme derviche dans sa robe blanche marquée à la taille d’une ceinture rouge (Sahar Dehghan, danseuse). Accélérations, réverbérations.

© Hugo Marty

Passe un couple à dos d’âne, image furtive de la fuite en Égypte, suivie de l’apparition de deux femmes enveloppées d’un tissu bleu gris, qui se déplient et laissent apparaitre de somptueux habits brodés (création costumes, Chouchane Abello Tcherpachian). Debout sur le cheval au galop elles se pendent au tissu en effectuant d’acrobatiques saltos, forment une figure à deux têtes montées sur les épaules l’une de l’autre et assurent des changements de mains virtuoses. Au centre, par ses gestes, la dresseuse guide le cheval et l’encourage. Passe l’écuyère-comédienne chevauchant un petit âne anthracite avec lequel elle s’entretient, puis deux princesses l’une vêtue de bleu, l’autre de rouge. Une reine-mère a pris place dans un charriot, une fine dentelle tombe de son chapeau. Deux chevaux noirs, l’un petit, l’autre grand, cheminent ensemble. D’élégants personnages, vestes de velours et élégants turbans passent avec dignité sur un cheval blanc.

Dans la pénombre ensuite des brulots posés sur pilotis, dans l’eau, annoncent l’arrivée de deux femmes jonglant avec des torches de feu. « Mon visage découvert ne me dénude pas. Pourquoi porterai-je sur ma tête le poids de tes faiblesses ? » Et elles jettent des étoiles en lançant les cinq bras de leurs flambeaux, comme des Shiva, et exécutent une magnifique danse du feu ; les percussions les accompagnent. Quatre grands oiseaux-huppes qui pourraient ressembler à des paons blancs sont portés tels des animaux sacrés et déposés aux quatre coins de la piste par des pénitents aux grands manteaux de velours noir. Un cinquième, bleu, aux plumes dépliées est posé, empaillé, sur un autel-cheval qui danse au rythme de la musique. Quatre autres pénitents, masqués et aux manteaux brun-vert, viennent les reconduire.

© Hugo Marty

Les séquences se succèdent, chacune pleine de surprises, de nouveautés et d’extravagances. Quatre écuyères aux vêtements toutes couleurs arrivent à grande allure sur un cheval au son d’un chant porté. Elles posent pied à terre et chacune à leur tour exécute des figures en attrapant à la volée le cheval lancé au galop ; costumes, pantalons bouffants, couleurs et imprimés, il y a toujours ce même raffinement, la constante du spectacle. Retour de l’âne blanc portant sur le dos un tableau noir et sur le tableau noir des écritures blanches. « Je suis moi. Je suis femme. Je suis vie. » Les chaises sont renversées, l’écuyère-comédienne qui l’accompagne est voilée. Image d’exil sur notes jouées au kamantcheh et chant de nostalgie repris par les autres musiciennes mêlant le son et le rythme de leurs instruments.

Revient la femme derviche, en robe rouge vermeil, dans sa gestuelle soufie, la ligne courbe et fluide de ses bras. Un cheval blanc arrive au galop, à contre-sens. Une caravane traverse la piste, marchant sur l’eau, chevaux et ânes transportent la maison, toute une vie sur le dos : bidons multicolores, chaises entassées, figures de proue, chien, fagots et branches, batteries de cuisine, sacs de riz, livres, fleurs serrées dans un papier. À nouveau l’exil par temps de grand vent. Le funambule au masque d’âne observe la marche lancinante et forcée. Suivent les oies, en perte de repères et qui n’en font qu’à leur tête, le cygne résigné. Puis un défilé de chevaux couleur tabac s’arrêtant tour à tour au centre de la piste, montés par des écuyères guerrières lançant un texte très court, sorte d’haïku. « Oui, il fut un temps où, à cheval, les guerrières scythes récitaient leur destin et déjà leur parole témoignait d’une conscience rebelle » conte Bartabas. « Mon cœur me dit que tu seras là, ce soir, ou demain » lance la première. « Ton amour, c’est de l’eau, c’est du feu, et des flammes me consument et des vagues m’engloutissent » dit la seconde. « Mon pantalon couleur de feu glisse sur mes cuisses. Mon cœur me dit que tu seras là ce soir, ou demain » poursuit la troisième. « Viens, tout autour de mon cou, je te bercerai sur la coupole de mes seins. » Ces mots volent comme autant de caractères posés sur un papier précieux.

© Hugo Marty

S’avance une jeune femme à la robe de satin noir qui se suspend par les cheveux à un filin d’acier et s’élève. Serait-ce la mort ? Le visage est serein, la posture hiératique, elle glisse dans les airs comme on glisse sur l’eau, dans une grâce infinie, prend la posture du scribe accroupi et tourne sur elle-même. Ni barque solaire ni royaume des morts, une magnifique artiste dans une discipline étrange et rare. (Eva Szwarcer capillotraction). Et la marche de l’exil reprend. Sept ânes accompagnés de deux chevaux sur lesquels sont montés les cheikhs, portant manteaux noirs, turbans et lunettes de soleil, leur dignité en bandoulière. Un brassard avec un numéro leur est accroché dans le dos. Le 7 s’annonce rebelle, s’égare souvent et rebrousse chemin. Des femmes aux longs manchons de soie couleur pastel formant un arc en ciel et volant au vent, fendent au galop l’espace de la piste. Le troupeau d’oies suit sa route et dans le clair-obscur un chant solo accompagne la poudre d’or lancée dans les airs comme autant d’étoiles ou d’alphabets, lettres d’or qui s’inscrivent dans la nuit. « Ne livre pas mes lèvres au verrou du silence car je dois dire tous mes secrets et faire entendre au monde entier le crépitement enflammé de mes chants… »

Énergie, pensée et beauté, une fois encore Bartabas et son arche de Noé séduisent, par le jeu des échelles, des contrastes et des couleurs, par l’amour des chevaux et par les éléments, feu, eau, terre et air, qui tissent le spectacle. Dans cette troisième édition du Cabaret de l’Exil les musiques venues d’Iran, pays à la culture millénaire et aux libertés surveillées, mettent les Femmes Persanes à l’honneur, et avec elles toutes les Femmes des mondes opprimés.  « Me voici. Je suis moi. Je suis femme. Je suis monde. Et sur mes lèvres passe le chant de l’aube blanche. »

Brigitte Rémer, le 12 novembre 2023

Avec les musiciennes : Chant et Kamantcheh, Firoozeh Raeesdanaee – Setâr, Shourangiz et Daf, Shadi Fathi – Santûr, Farnaz Modarresifar – Tombak, Niloufar Mohseni – Création sonore, percussions, Catherine Pavet. Artistes : Bartabas, Amandine Calsat, Sahar Dehghan (danseuse), Stéphane Drouard (fildefériste), Marion Duterte, Johanna Houé, Camille Kaczmarek, Perrine Mechekour, Alice Pagnot, Tatiana Romanoff, Emmanuelle Santini, Alice Seghier, Eva Szwarcer (capillotraction). Micos : Henri Carballido, Yael Coudray, Volodia Girard, Florent Mousset, Paco Portero. Chevaux et ânes : Corto, Dun, Famoso, Guerre, Hamadan, Harès, Héragone, Houblon, Inca, Isope, Ispahan, Jade, Kaboul, Kandahar, Karaj, Kawa, Pablo, Parade, Qom, Raoul, Tabriz, Téhéran, Vino, Zurbaran, la Mule et l’Âne, et la mule Chiraz – Responsable des écuries, Johanna Houé – groom de Bartabas, Ludovic Sarret – soins aux chevaux : Julie Boucherot, Caroline Viala – création costumes, Chouchane Abello Tcherpachian – costumiers : Eloise Descombes-Rotella, Jean Doucet, Anne Véziat – assistantes costumières : Gwendoline Grandjean, Tifenn Morvan – patineuse, Léa Deligne – habilleuses : Isabelle Guillaume, Cléo Pringigallo, Clarisse Véron  – accessoiristes : Samuel Babinet, Delphine Cerf, Romain Duverne, Juliette Nozieres, Sébastien Puech – masque d’âne, Cécile Kretschmar. Directeur Technique, Hervé Vincent – son, Juliette Regnier – lumière : Clothilde Hoffmann, Léa Mathé – techniciens plateau : Laurent Bureau, Pierre Léonard Guétal, Christelle Naddéo, Erwan Tur – technicien de maintenance, Ouali Lahlouh Dessin affiche, Serena Luna Raggi. Sur les deux premiers Cabaret de l’exil, voir aussi nos articles des 4 décembre 2021 et 23 mars 2023.

Du 20 octobre 2023 au 31 mars 2024, mardi, mercredi et vendredi, samedi à 19h30, dimanche à 17h30. Relâche lundi et jeudi, au Théâtre équestre Zingaro, 176 avenue Jean-Jaurès, 93300. Aubervilliers – métro : Fort d’Aubervilliers/sortie 1 – tél. : 01 48 39 54 17 – site : www.zingaro.fr

Irish Travellers

© Hugo Marty

Scénographie, conception et mise en scène Bartabas – assistante à la mise en scène Emmanuelle Santini – une création du Théâtre équestre Zingaro, dernières représentations après prolongation.

C’est un spectacle plein de mélancolie s’inscrivant dans les géographies du Théâtre équestre Zingaro sous le titre générique de Cabaret de l’exil. Le concept de cabaret élaboré par Bartabas vient de loin. En 1984, il présentait son premier Cabaret Équestre, mêlant plusieurs disciplines artistiques dont les musiques du monde, la danse et la poésie.

Le Cabaret de l’exil est un nouveau récit dont le premier volet ouvrait sur la culture yiddich et les musiques klezmer (cf. notre article du 4 décembre 2021). Ce second volet, Irish travellers fait référence aux nomades d’origine irlandaise, en exil dans leur propre pays. Il y eut en Irlande une émigration à grande échelle, le peuple cherchant à affirmer son identité, fondée sur l’amour du cheval et sur une culture musicale de tradition orale. Le spectacle de Bartabas est d’une beauté à couper le souffle et d’un grand raffinement. Toute cette Irlande est présente. Le fil conducteur se dessine à travers les cinq interventions d’une conteuse aux multiples visages arrivant à cheval, suivi d’un chant, sorte de ballade ou de complainte exécutée par un soliste, assis au loin, Thomas McCarthy lui-même originaire d’une famille de Travellers. « Le son des routes est rempli de ta voix » écrit Bartabas.

© Hugo Marty

L’histoire nous plonge au cœur de la tragédie et de l’inhospitalité souvent réservée aux Travellers, la cavalière-narratrice raconte : « Quand j’étais petite ma mère est morte, ils ont brûlé sa roulotte… » Une longue procession suit le corbillard tiré par un cheval et conduit par le prêtre et ses enfants de chœur. Puis une roulotte en miniature arrive sur un grand plateau et est incendiée sous nos yeux. S’enchaînent les musiques rythmées et dansées d’un quatuor aux instruments traditionnels : la cornemuse Irlandaise aux trois bourdons – Uilleann pipes – (Loic Blejean), l’accordéon diatonique (Ronan Blejean) et le violon (Gerry O’Connor), le bodhrán, sorte de tambourin dont la peau de chèvre est sélectionnée à la main (Jean-Bernard Mondoloni, qui joue aussi du piano). Les numéros ensuite s’enchaînent pour servir l’histoire collective : un cheval moucheté, de toute beauté, danse et devient léger, des écuyères se succèdent, pleines de grâce, et déclinent de brillantes figures acrobatiques sur des chevaux que l’on dirait ailés, l’une joue du violon, debout sur le cheval, l’autre de l’accordéon. Un acrobate portant un masque de bouc s’élance à la corde volante et donne le frisson. Tout est d’une grande précision.

© Hugo Marty

Bartabas construit le spectacle dans des rapports de proportion décalés comme ce petit poney à côté d’un grand cheval et entre les variations de couleurs, blanc et blanc, noir et blanc, il joue de contrastes. Le spectacle est plein d’élégance et on y trouve de l’humour en même temps que de la nostalgie. Un curé s’avance jusqu’au centre de la piste, suivi de ses moutons qui l’encerclent, il a tout du bon pasteur. Arrive une gazelle au superbe masque, qui le nargue (masques signés de Cécile Kretschmar). Les tréteaux d’une taverne se dressent, plateaux de bois posés sur des barriques, la bière coule à flot et l’esprit de la fête est là. Un cheval saute au-dessus de la table, puis un second, devant des convives enjoués. D’autres chevaux arrivent au grand galop, montés par un, deux puis trois shérifs qui se lancent dans des figures western, dynamiques et énergétiques. Une énorme barrique tirée par un cheval apparaît, de laquelle émerge un personnage  qui se perche sur le couvercle et se met à exécuter un savoureux numéro de claquettes. Un poney blanc se confond avec l’épaisse brume qui envahit la piste et se roule au sol, de plaisir et de liberté, il en ressort moucheté de terre noire. Les montagnards aux échasses arrivent avec leurs longs bâtons de bergers. On traverse de splendides séquences, surprenantes et inventives, raffinées et oniriques.

© Hugo Marty

Comme un enfant tirerait les wagons de son train, un homme tire onze roulottes autour de la piste, la douzième ayant été brulée. Arrivent à toute allure des sulkys chargés de personnages pour le moins étranges et un peu décalés comme deux femmes et un chien dans le premier suivi d’un second où l’on tond des moutons ; le troisième tire une baignoire dans laquelle un homme sous la douche se frotte le dos, tandis qu’une oie de carton dans les mains d’une jeune femme, s’envole. La notion de déplacement est toujours présente. « Partout où je passe on me demande de partir » dit le texte. Puis chaque voyageur revient et prend place autour du feu, faisant cercle comme le font ces familles qui sillonnent les routes en se regroupant à quelques-unes, dernière image de cet Irish Travellers.

Le regard que pose Bartabas sur ce nomadisme obligé traduit par les voltigeurs, les meneurs et cavaliers, les chevaux, est plein de charme et d’émotion. Les roulottes se chargent de leur imaginaire et s’animent par la virtuosité de tous. Grave et nostalgique par son sujet – le déracinement et la discrimination – le spectacle est pourtant habité de beaucoup de couleurs y compris dans les costumes (créés par Antonio De Jesus), s’intercalant avec les épisodes du plus chic noir et blanc. Chez Zingaro, une belle énergie et de la poésie sont une fois de plus au rendez-vous, force et plaisir d’une soirée. Chorégraphie, gestuelle, univers musical et sonore, virtuosité des cavaliers et des chevaux, présence magnétique de chacune et chacun, objets qui s’animent, tout un ensemble se mobilise dans un esprit de troupe où chacun est à sa place. Et la ballade irlandaise reprend : « Tu étais né au hasard sur une route d’Irlande. Tu aimais chanter : peu importe le lieu de ma naissance seul compte celui où je vais demeurer car c’est ici que tu me retrouveras. »

 Brigitte Rémer, le 20 mars 2023

La troupe – chanteur Thomas McCarthy – musiciens Gerry O’Connor (violon), Loic Blejean (Uilleann pipes), Ronan Blejean (accordéon), Jean-Bernard Mondoloni (bodhrán et piano). Artistes : Bartabas, Henri Carballido, Sébastien Chanteloup, Michaël Gilbert, Mickaël G. Jouffray (danseur), Manolo Marty (artiste force), Perrine Mechekour, Théo Miler, Bérenger Mirc, Leonardo Montresor (corde volante), Fanny Nevoret, Paco Portero, Bernard Quental, Emmanuelle Santini, Alice Seghier, Cheyenne Vargas, Dakota Vargas, David Weiser – Chevaux : Angelo, Conquête, Corto, Dan, Dicky, Dragon, Famine, Guerre, Guizmo, Homer, Misère, Posada, Raoul, Ted, Totor, Tsar, Ultra, Oberon, Olimpo, Quijo, Schlimak, Zurbarán, la mule et l’âne. Responsable des écuries Mickaël Gilbert – soins aux chevaux Bérenger Mirc, Sarah Sefraoui, Caroline Viala – création costumes Antonio De Jesus – réalisation costumes Lottie Brazier, Antonio De Jesus, Angélique Groseil, Nicolas Maynou – habilleuse Isabelle Guillaume – accessoiriste Sébastien Puech et Delphine Cerf, assistés de Pierre-Jean Boissard, Juliette Nozière, Samuel Babinet, Adrien Genty – masque Cécile Kretschmar – charrette tonneau Max Barnabé, Erwan Belland – directeur technique Hervé Vincent – son Juliette Regnier – lumières Clothilde Hoffmann – techniciens plateau Pierre Léonard Guétal, Julie-Sarah Ligonnière, technicien de maintenance Ouali Lahlouh.

Prolongation jusqu‘au 2 avril 2023, jeudi, vendredi, samedi à 19h30, Dimanche à 17h30, Relâche les lundi, mardis et mercredis – Théâtre équestre Zingaro, 176 avenue Jean-Jaurès. 93300. Aubervilliers – métro : Fort d’Aubervilliers (ligne 7) – spectacle pour tout public – tél. : 01 48 39 54 17 – site : www.zingaro.fr

Cabaret de l’exil

© Alfons Alt

Scénographie, conception et mise en scène Bartabas. Nouvelle création du Théâtre équestre Zingaro, au Fort d’Aubervilliers.

« À Zingaro, la musique est notre territoire et l’amour des chevaux notre religion. » Par ces mots, Bartabas résume tout de ses parcours. Après deux années de pandémie obligeant à rester chez soi, le verre de vin chaud et le feu de camp après spectacle réchauffent. Chez Bartabas c’est atout cœur dès qu’on pénètre dans la construction de bois réalisée sur mesure par l’architecte Patrick Bouchain, où il a posé son arche de Noé, en 1989, avec chevaux, oies, oiseaux etc. Chargé des empreintes de ses spectacles, l’immense pièce d’’accueil, mi-réfectoire, mi-salle capitulaire, mi-chambre de la mémoire, est en soi une invitation au voyage. Comme chez Baudelaire « Là, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté. »

Après tant de spectacles témoins de sa fusion avec les chevaux, depuis la création en 1984 du Théâtre Zingaro du nom d’un de ses célèbres chevaux (et qui signifie Tzigane), devenu deux ans après Théâtre équestre et musical, on rebrousse chemin à travers le temps pour sentir à nouveau l’esprit des premières créations. Les musiques des quatre coins du monde tissent la démarche de Bartabas et sa philosophie, venant entre autres du Caucase, Maghreb, Mexique, Rajasthan, Tibet, de Corée et Roumanie. Avec Cabaret de l’exil il met à l’honneur la culture yiddish par le discours d’Isaac Bashevis Singer prononcé lors de la remise de son Prix Nobel de Littérature en 1978, texte servant de trame, magnifiquement porté par l’acteur Rafaël Goldwaser. La musique Klezmer du Petit Mish-Mash et ses déclinaisons de rythmes et mélodies ponctuent les séquences, avec le cymbalum et les percussions de Mihai Trestian, l’accordéon et les percussions d’Adrian Iordan, la clarinette et les flûtes de Marine Goldwaser qui assure aussi la direction musicale, la clarinette en alternance de Laurent Clouet, le violon, l’alto et le chant d’Ariane Cohen-Adad.

Côté cour côté jardin, le public entre, chaque groupe guidé par un appariteur qu’on retrouve ensuite sur la piste. Certains traversent les écuries où se reposent les royaux destriers puis prennent place autour d’une petite table éclairée à la lueur d’une bougie, d’autres s’installent dans les gradins. Sur la piste, devant le feu et le soufflet de forge, forgeron et maréchal-ferrant s’affairent sur les fers protecteurs des sabots des chevaux. Autour d’eux, une petite troupe d’oies va et vient dans sa chorégraphie tranquille. Arrive un corbillard tiré par un cheval noir à la crinière tressée et conduit par un factotum accompagné de cinq majordomes grand chic, livrée rouge, serviettes sur le bras qui vont distribuer le vin chaud de manière compulsive, dans les premiers rangs du public.

Le texte surgit du côté cour depuis la piste, le comédien assis au zinc d’un bar où une serveuse s’affaire. Les musiques arrivent du côté jardin où se trouve la plateforme des instrumentistes. Entre les deux, en hauteur, entouré d’un rideau rouge tel un petit théâtre dans le théâtre, un orgue, magnifique, sur lequel jouera, plus tard, un musicien. Tout s’anime ensuite avec de virtuoses écuyères et écuyers acrobates, qui font corps avec leurs chevaux aux somptueuses robes – le noir, alezan, bai, gris ou blanc – ébouriffés ou bien coiffés, sans oublier le baudet Joli Cœur, la mule et l’âne, le cheval de labour et le jeune poulain blanc. Dans de petits scénarios virtuoses, humoristique et poétique, ils s’enroulent et se déroulent, se déploient, sautent et se rattrapent en de savantes figures acrobatiques. Les tissus de soie noire ou blanche s’envolent dans les voltiges en solo ou en duo, les fracs blancs et redingotes noires invitent au respect. Des cavaliers à têtes d’animaux, masques superbement réalisés comme bélier et corbeau (Cécile Kretschmar), ou encore chien et autres (prêt de l’Opéra national de Lorraine) épousent le rythme des pas mesurés et cadencés des chevaux, ou de leurs galops. Une envolée de colombes se disperse sous le chapiteau au rythme de la clarinette et les images défilent, recentrant le propos sur la littérature et la peinture Yiddish.

L’ombre du Dibbouk passe, esprit malin hantant le corps des vivants que Marc Chagall enrichit dans ses tableaux de la tradition russe, et qu’il reprit à sa manière. On y retrouve colombes et violons, paradis naïf de l’enfance, mariés de la tour Eiffel voyageant au-dessus des nuages, ou encore bouc enlaçant tendrement la mariée. « Il dort. Il est éveillé. Tout à coup, il peint. Il prend une église et peint avec l’église. Il prend une vache et peint avec une vache. Avec une sardine. Avec des têtes, des mains, des couteaux… » écrivait en 1919 Blaise Cendrars dans ses Dix-neuf poèmes élastiques où il fait le portrait de Chagall. L’univers Zingaro fait aussi le lien entre le passé et le présent et rejoint ce bestiaire montrant sur une piste de cirque l’oiseau faisant spectacle, le cheval jouant de la contrebasse et l’âne ailé s’envolant à son tour.

Des premiers Cabarets équestres aux Entretiens silencieux, Bartabas a beaucoup voyagé et nous a pris en selle sur ses chevaux : Horizonte, Soutine, Pollock, Le Tintoret et Caravage, Quixote, Angelo, Zurbaran et tant d’autres. De Tsar, son alter-ego des Entretiens silencieux, il raconte : « Il en est des chevaux comme des coups de foudre, ils vous tombent dessus sans crier gare. » Auteur, metteur en scène et scénographe, réalisateur et chorégraphe, écuyer, Bartabas a conçu de nombreux spectacles, de Cabaret I à III (1984/90) suivi de l’Opéra équestre (1991/93), en passant par Chimère (1994/96) et Éclipse (1997/99). Puis il y eut Triptyk (2000/2002), Loungta (2003/2005), Battuta (2006/2009), Darshan (2009/2010), Calacas (2011-2014), Elégies, on achève bien les anges (2015-2016) et Ex Anima (2017). Il a aussi fait de belles rencontres artistiques comme celle avec Ko Murobushi, danseur et chorégraphe japonais de butô tous deux travaillant à partir des Chants de Maldoror de Lautréamont, dans Le Centaure et l’Animal (cf. notre article du Théâtre du Blog, le 12 septembre 2012). Dans un esprit de transmission, il a aussi fondé en 2003 l’Académie équestre dans les Grandes Écuries du château de Versailles d’où il présente des chorégraphies.

Dans Cabaret de l’exil Bartabas, de noir vêtu, long manteau et imposant chapeau, fait danser son cheval, l’un et l’autre virtuoses. « Vivre avec des chevaux, c’est en quelque sorte vivre sur Terre sans la perdre de vue… » dit-il. « Dresser un cheval ce n’est pas lui faire acquérir des automatismes, c’est d’abord se construire avec lui un vocabulaire commun puis une grammaire commune, puis, s’il le veut bien, finir par dire des poèmes ensemble. » Et de conclure, dans son Manifeste pour la vie d’artiste, « L’artisanat de notre travail nous préserve des pièges et des tentations économiques. Zingaro n’a pas de valeur marchande. Il n’y a rien à acheter, que notre passion. » Ce nouveau spectacle est un retour aux sources, c’est aussi l’engagement de toute une vie.

Brigitte Rémer, le 30 novembre 2021

Cavaliers : Bartabas, Yassine El Hor, Nolwen Gehlker, Emilie Jumeaux, Calou Pagnot, Emmanuelle Santini, Hervé Vincent, David Weiser, Messaoud Zeggane – Chevaux : Angelo, Conquête, El Cid, Famine, Guerre, Islands Bay, Lucifer, Misère, Noureev, Posada, Raoul, Rustik du Boncoin, Tsar, Ultra, Vasco de l’Effrayere, Victor, Zurbaran, la mule et l’âne, le baudet Joli Cœur – Micos : Henri Carballido, Stéphane Drouard, Laurent Dupré (Bill), Paco Portero, Bernard Quental, Vladik – Responsable des écuries : Bérenger Mirc – Soins aux chevaux : Lola Cournet, Aurore Houdelette, Caroline Viala

Musique originale Le Petit Mish-Mash : Mihai Trestian, cymbalum, percussions – Adrian Iordan, accordéon, percussions – Marine Goldwaser, clarinette, flûtes, direction musicale – rejoints par : Ariane Cohen-Adad, violon, alto, chant – Laurent Clouet, clarinette (en alternance) – Assistante à la mise en scène  Emmanuelle Santini – Comédien Rafaël Goldwaser – Figurante Marina Viallon – Directeur technique Hervé Vincent – Son Serge Rantonnet – Lumières Clothilde Hoffmann – Création costumes Marie-Laurence Schakmundès – Habilleuse Isabelle Guillaume – Masques de bélier et corbeau, Cécile Kretschmar – Autres masques, Prêt de l’Opéra National de Lorraine – Accessoiriste Sébastien Puech – Texte du monologue d’ouverture de Isaac Bashevis Singer (Copyright 1978)

Du 19 octobre 2021 au 27 mars 2022, mardi, mercredi, vendredi, samedi à 20h30, dimanche à 17h30 (relâche lundi et jeudi) – 176 avenue Jean Jaurès 93300. Aubervilliers – métro : Fort d’Aubervilliers (ligne 7) – tél. : 01 48 39 54 17 – Site : bartabas.fr/zingaro/